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Oscar Romero : figure inspirante au cœur de l’action non-violente

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Nous commémorons en 2020 le 40e anniversaire de l’assassinat d’Oscar Arnulfo Romero, figure de la résistance non-violente, à la hauteur des grands comme Mohandas Gandhi ou Martin Luther King, assassinés respectivement il y a 72 ans et 52 ans.

Devant la clameur du peuple pour tant de crimes, il a réconforté, dénoncé et appelé au repentir telle la voix qui crie dans le désert. L’archevêque de San Salvador s’est transformé de simple prêtre adhérent au statu quo, en un prophète audacieux qui dénonçait le comportement des élites nationales et internationales alors qu’il témoignait d’une option préférentielle pour les pauvres. Fidèle à cette option, et pour faire face à des situations désespérées qu’engendrent la misère et l’oppression, il s’est entouré d’une équipe de professionnels pour juger de manière critique et objective les dimensions conflictuelles de la réalité sociale : droits humains et associatifs, éducation, réforme agraire, mortalité infantile, indice de malnutrition, analphabétisme, conditions de travail, etc. Il s’est ainsi forgé une renommée internationale comme défenseur des droits humains et s’est situé de façon consciente devant l’histoire afin de la juger à la manière d’un projet, selon les critères du Règne de Dieu.

L’esprit de non-violence

Reconnu comme un pasteur exemplaire au service de l’église, il incarne l’esprit de non-violence, caractéristique première d’une vision de la paix et philosophie comme attitude politique de ceux qui rejettent l’utilisation de la violence dans la résolution des conflits.

Convaincu de la force morale de la non-violence, son analyse de la violence est succincte et énergique: «L’Église n’approuve ni ne justifie une révolution sanglante, ni les cris de haine. Mais elle ne peut pas non plus les condamner alors qu’elle ne voit aucune tentative d’éliminer les causes qui causent cette maladie dans notre société …»[1]

En tant que messager de la paix, il a fait preuve de compréhension de la réalité politique et sociale de son pays. «Mon jugement n’est pas politique, encore moins opportuniste, l’Église ne vit pas d’une conjoncture mais de la grande utopie, au-delà; le peuple doit être l’architecte de sa propre société. Vous devez vous donner la société que vous voulez: démocratique, socialiste, communiste; vous êtes le peuple. Un langage de violence provoque la répression».

Nous pouvons reconnaître, dans ce que Romero a écrit sur les complexités de la violence et la réponse à cela, son choix clair pour la non-violence [2]:

«L’Église préfère le dynamisme constructif de la non-violence: le chrétien est pacifique et je n’ai pas honte de cela…pas simplement pacifiste, car il peut combattre, mais préfère la paix à la guerre. Le chrétien sait que des changements violents dans les structures seraient fallacieux, inefficaces en eux-mêmes et non conformes à la dignité humaine (Medellín Documents, Paz, # 15)».

Sans aucun doute Romero incarne la non-violence avec «une dimension profonde de bienveillance tant à l’égard des autres humains que de la création toute entière. Une attitude faite de respect profond, d’ouverture et de gratitude, qui cherche à construire ensemble sans dominer ni exploiter. Une conception de la non-violence comme une arme urgente et efficace»[3]

L’efficacité de cette conception atteint le point le plus haut dans sa puissante homélie du dimanche 23 mars 1980, un discours critique, une référence à jamais pour le monde entier. Un appel aux membres de l’armée, une invitation à la désobéissance : «Un soldat n’est pas obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. Une loi immorale, personne ne doit la respecter» puis le lendemain, le 24 mars 1980, il est tué par des escadrons de la mort.

Un repère emblématique et inspirant pour aujourd’hui

Au-delà de positions idéologiques à caractère politique ou religieux, la société d’aujourd’hui cherche  des terrains  d’entente plus larges qui puissent convoquer des organisations et individus : la non-violence et la désobéissance civile surgissent comme des stratégies d’action efficace pour faire avancer la société.

Ces stratégies ont  historiquement été associées aux grands défenseurs des droits et libertés. Quarante ans après l’assassinat d’Oscar Romero, de nombreux défis du monde actuel tels que les guerres, les changements climatiques, les crises économiques, les migrations internationales, attendent toujours des réponses.

Quelle est alors la place d’Oscar Romero dans notre mémoire collective ? Comment sa vie, son héritage et son témoignage sont des repères emblématiques qui inspirent les collectivités pour transformer les situations d’injustice qui persistent ?

Ils lui imposèrent le silence, mais l’histoire ne restera pas silencieuse …

Vous pouvez trouver cet article aussi sur le webzine Rencontre, Vol. 10, n 30, mars-avril-mai-2020 du Centre culturel chrétien de Montréal (CCCM), à la page 32: PENTECÔTE ET MISSION

L’événement commémoratif prévu le 28 mars 2020 a été reporté à une date ultérieure. Pour en savoir plus (la nouvelle date sera bientôt affichée ici)  : Action non-violente et crise écologique: Journée Oscar Romero

Gloria Elizabeth Villamil, coordonnatrice d’Antennes de paix

coordinationadepaix@hotmail.com

[1] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00974349/document

[2] Citation sur : http://paxchristi.org.uk/wp/wp-content/uploads/2017/04/Nonviolence-and-witness-of-Oscar-Romero.pdf

[3] Boisvert, D. (2017). Nonviolence. Une arme urgente et efficace. Montréal: Les Éditions Écosociété.

 

 

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Artisans de paix Dr Denis Mukwege Le viol comme arme de guerre les violences sexuelles faites aux femmes Prix Nobel de la paix Violence envers les femmes

Le prix Nobel de la paix 2018, Dr Denis Mukwege, en visite à Montréal

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Montréal le 08 juin 2019

Trois événements ont été organisés en sol québécois pour souligner l’ensemble de l’œuvre du Dr Denis Mukwege, gynécologue-obstétricien congolais, lauréat du prix Nobel de la paix en 2018.

D’abord, il a été honoré avec un doctorat Honoris causa de l’Université de Montréal, le 7 juin dernier à l’amphithéâtre Ernest-Cormier de cette université. Ensuite, une Conférence –Rencontre dont Antennes de paix est partenaire, a été organisée avec la diaspora et la communauté québécoise pour le 08 juin en après-midi,  à l’Amphithéâtre de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Enfin, cette journée se termine à l’hôtel Reine-Elisabeth avec un souper-bénéfice dont le montant amassé est destiné à  la Fondation Panzi, dirigée et fondée par le Dr Mukwege en République démocratique du Congo (RDC).

Antennes de paix honore et célèbre le travail de celui qu’on appelle affectueusement «l’homme qui répare les femmes». Le Dr Mukwege travaille depuis 1999 à l’hôpital de Panzi, RDC, où il consacre la plupart de son temps à traiter et soigner des femmes qui ont été violées et mutilées par des hommes parfois en groupe et en public, dans un contexte de guerre et de conflits. En recevant son prix Nobel, en décembre dernier, il avait déclaré:

«J’accepte ce prix #Nobel de la Paix au nom du peuple #Congolais et le dédie à toutes les victimes de violences sexuelles à travers le monde. Nous devons ensemble saisir cette opportunité pour tracer une ligne rouge contre l’usage des violences sexuelles comme arme de guerre». Puis, après la remise du doctorat Honoris causa à Montréal, il a dénoncé cette pratique dans un entretien privé avec La Presse canadienne : « le viol dans les guerres et les conflits armés est une arme de destruction massive, dont les effets se font sentir sur plusieurs générations».

Branché avec conviction sur les urgences sociales locales et internationales, Antennes de paix s’associe à tous les organismes et individus pour saluer avec respect et une profonde gratitude les appels percutants à une paix durable du Dr Mukwege ainsi que son œuvre personnelle et professionnelle pour la restauration des femmes victimes de viols et violences sexuelles dans les conflits armés.

Notre organisme, une initiative citoyenne qui utilise les médias sociaux pour contribuer à la culture de la paix et de la réconciliation, reconnaît et soutient ainsi les efforts déployés pour la justice, la solidarité sociale et la paix.  Une reconnaissance qui va au-delà des frontières, cultures, religions et appartenances sociales.

Ressources à consulter pour en savoir plus sur le Dr Denis Mukwege :

http://fondationpanzirdc.org/

https://www.youtube.com/watch?v=yD_oIMqT-mA

 

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Artisans de paix Initiatives de paix Prix du Public pour la Paix

Le Prix du Public pour la Paix : aux portes du dévoilement des lauréats et lauréates 2018

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Montréal, le mercredi 21 novembre 2018

Le Prix du Public pour la Paix (PPP) est rendu à sa cinquième édition cette année. Il innove en embrassant une approche plus collaborative que compétitive qui permet d’offrir une visibilité à toutes les initiatives de paix, qu’elles soient connues ou non. Le seul objectif de ce prix demeure de faire connaître un maximum d’initiatives et d’artisan-e-s de paix au grand public, et ce au-delà de toute forme de compétition!

Le public a présenté un total de 19 candidats à cette édition; 11 ont été retenus à titre de finalistes en considérant les dossiers qui ont répondu le mieux aux demandes requises, notamment la formation d’une équipe de soutien.

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La 4e édition du Prix du Public pour la Paix – miroir de nos solitudes ou de nos solidarités?

Il est fascinant de voir à quel point nous sommes collectivement hypnotisés par les acteurs de division, d’exclusion et de violence armée. Les grands médias ne le reflètent que trop bien. Par ailleurs, nous ne nous préoccupons guère de donner de la visibilité aux milliers de personnes qui œuvrent quotidiennement dans l’ombre à la réconciliation, contribuant à la non-violence et à la paix.

Les instigateurs du Prix du Public pour la Paix ont, quant à eux, compris que tout le monde espère, depuis la tendre enfance, une forme de reconnaissance de la part d’autrui, une des raisons fondamentales pour laquelle ce prix public a été créé. Ils nous rappellent que pour les artisan-e-s de paix de certains pays, qui bien souvent s’engagent au péril de leur vie, des manifestations de soutien provenant d’autres régions de la planète peuvent s’avérer vitales pour la poursuite de leurs actions.

L’édition 2017 du Prix en fait foi: une vingtaine de personnes et d’organisations ont été présentées au Prix, dont la moitié ont reçu suffisamment de soutien du grand public pour être qualifiées de finalistes. Les nominations du public sont venues de l’Afrique (Cameroun, Ghana, Nigeria), du Moyen-Orient (Yémen) et de l’Asie (Inde, Pakistan), des Amériques (Colombie, États-Unis) et d’un seul pays d’Europe (France).

Là où existent tensions et rivalités entre groupes humains, où l’on doit protester contre des emprisonnements injustes, là où les droits des minorités ne sont pas respectés, là où la discrimination accompagne les déplacements de population, il se trouve des jeunes, des hommes et des femmes qui sortent de leur confort pour éveiller leur collectivité aux enjeux de l’heure, faisant preuve d’imagination pour sensibiliser, mobiliser leurs compatriotes à retrouver  leur dignité.

Merci de partager la vidéo à partir de Vimeo, de la page Facebook, du compte Twitter ou de la chaine YouTube du Prix du Public pour la Paix.

Notre réponse à nous, du public

À l’ère du web l’action se déroule à l’échelle de la planète; pour cette raison, le Prix du Public pour la Paix est une initiative en ligne, en trois langues, qui veut donner une chance égale à tous tant pour l’accès à la visibilité qu’à l’expression de la solidarité sans frontières.

Antennes de paix est un partenaire majeur du Prix du Public pour la Paix parce que la mission de cette initiative en ligne rejoint la nôtre : promouvoir une culture de non-violence et de réconciliation pour une paix juste, dans un monde libéré de la violence et de la peur. Nous sommes fiers d’apporter notre modeste part à une équipe de professionnels des médias sociaux (illustration, rédaction, production de vidéos, etc.) assistés de bénévoles qui consacrent gratuitement des centaines d’heures de travail à faire connaître le mieux et le plus possible les initiatives et artisan-e-s de paix.

En qualité de partenaire de soutien et de diffusion, nous sommes toutefois surpris de constater que les candidats au prix reçoivent très peu d’appui de la communauté internationale et qu’ils doivent avant tout compter sur leur propre réseau dans leur propre pays pour être soutenu. Autrement dit, nous gens du Nord qui sommes les plus branchés de la planète, ne prenons pas, ou si peu, la peine d’exprimer notre soutien aux finalistes proposés par des citoyens d’autres continents!

Qu’est-ce que cela veut dire? Sommes-nous dans ce pays à ce point indifférents et peu intéressés à ce qui contribue à notre paix globale, peu importe où sur la planète? Sommes-nous à l’échelle de l’humanité, encore et malgré nos efforts occasionnels de solidarité, d’abord et avant tout concentrés sur nos propres initiatives, au point qu’il nous est difficile de sortir de notre propre réseau? C’est pourtant une tout autre approche qui a été encore une fois préconisée lors du dernier Forum social mondial tenu à Montréal en août 2016.

Le Prix du Public pour la Paix n’est certes pas la seule initiative citoyenne qui mérite notre soutien, mais c’est la seule distinction pour la paix dans laquelle les candidats sont proposés, nominés et appuyés par de simples citoyen-ne-s de la planète. Qui dit plus démocratique?

À quelques jours/ heures de la proclamation des lauréats, début février 2017, souvenons-nous que des artisan-e-s de paix partout sur la planète ont besoin de reconnaissance. Nous vous invitons à visiter le site, à vous abonner en laissant votre adresse courriel sur le site à https://prixpublicpaix.org/, puis à aimer la page Facebook du Prix du Public pour la Paix.

Et n’hésitez pas à laisser des commentaires et suggestions à l’Équipe du Prix du Public pour la Paix.

Antennes de paix

antennesdepaix@gmail.com

Le 25 janvier 2017

 

 

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Artisans de paix résilience

Le Souffle d’Etty. Jet de lumière dans la nuit

En tournée au Québec du 7 octobre au 12 novembre 2016, la Compagnie française de théâtre Le Puits, en collaboration avec l’Association des Arches du Québec, nous offre Le Souffle d’Etty. Grâce à la mise en scène de Michel Vienot assisté au décor par Jacques Félix Faure, deux comédiennes, Annick Galichet et Mary Vienot, relèvent magnifiquement le défi de transformer en jeu théâtral le journal intime qu’Etty Hillesum a écrit au temps de la Shoah. Les pièces musicales et les chants donnent au dialogue le temps de se déposer chez le spectateur, ravi de se laisse aspirer et inspirer par le récit d’un itinéraire lumineux.

 

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Le rideau s’ouvre sur un jet de lumière. Est-ce un carré de sable pour enfants que j’aperçois là? Et ce jeu de poulies accrochées à un poteau vers la gauche, à quoi  pourrait-il bien servir? Tout le décor un peu sombre s’anime dès l’entrée en scène des deux comédiennes dévorées du même feu qui animait Etty Hillesum, cette jeune femme juive, hollandaise,  dont elles se font porte-parole pendant une heure et demie.

Le Souffle d’Etty est la mise en scène captivante du journal intime qu’elle a rédigé entre 1941 et 1943, dans la Hollande occupée par les Allemands, pendant ses études en droit à Amsterdam. Etty Hillesum y trouve un refuge où elle livre sans détour ni complaisance pensées, émotions, passions qui l’agitent et la rendent souvent malheureuse. À mesure qu’elle met des mots sur les mouvements intérieurs qu’elle analyse, aidée en cela par la relation qu’elle développe avec le psychologue Julius Spier, disciple de Karl Jung, elle découvre un chemin de libération et de joie qui va se déployer jusqu’à sa mort le 30 novembre 1943.

Par la magie de la musique, du chant, du jeu corporel tout en souplesse de Mary Vienot et Annick Galichet, une grand-mère (Masha) et sa petite-fille (Lucy) avide de retracer l’itinéraire d’Etty, le spectateur est lui aussi fortement attiré vers le mystère qui se donne à voir : une voix intérieure prend forme, devient plus forte que les bruits de guerre alentour. Une voix plus pénétrante que la haine et la vengeance, qui libère la bonté des êtres et ouvre une percée sur la bienveillance divine.

Du chaos en soi et au dehors

Etty n’y arrive pas d’un seul trait, c’est ce qui la rend si proche de nous. Elle se fraie un chemin dans son « chaos intérieur ». Elle ne mâche pas ses mots pour décrire ses poussées de déprime, de vanité ou de volupté afin de les exorciser. C’est un rude combat, adouci par la source qu’elle sent jaillir en elle. Lorsque le jeu des poulies glisse la chaudière remplie de sable sous le faisceau de lumière, tel un sablier, le spectateur comprend que le temps est un incontournable maître de sagesse.

Mais ce regard sur soi n’est-il pas d’une grande futilité face à l’état du monde qui se dégrade autour d’elle? Etty Hillesum se débat avec cette question – comme ce théologien qui demandait : avons-nous le droit d’être heureux pendant que des enfants meurent de malnutrition, que des millions de personnes sont forcées de tout quitter pour sauver leur vie?

« Avec toutes ces souffrances autour de soi, on en vient à avoir honte d’accorder tant d’importance à soi-même et à ses états d’âme.  Mais il faut continuer à s’accorder de l’importance, rester son propre centre d’intérêt, tirer au clair ses rapports avec tous les évènements de ce monde, ne fermer les yeux devant rien, il faut ‘’s’expliquer’’ avec cette époque terrible et tâcher de trouver une réponse à toutes les questions de vie ou de mort qu’elle vous pose. Et peut-être trouvera-t-on une réponse à quelques-unes de ces questions, non seulement pour soi-même, mais pour d’autres aussi.» (Journal, p. 51)

Époque terrible en effet. Une page de son journal en témoigne :

« Cela recommence : arrestations, terreur, camps de concentration, des pères, des sœurs, des frères arrachés arbitrairement à leurs proches. On cherche le sens de cette vie, on se demande si elle en a encore un. Mais c’est une affaire à décider seul à seul avec Dieu. Peut-être toute vie a-t-elle son propre sens, et faut-il une vie pour découvrir ce sens. » (Journal, 14 juin 1941, p. 37)

En juillet 1942, Etty est appelée à servir le Conseil juif que les Allemands ont constitué. Elle va partager les tâches ingrates d’identification de ses compatriotes mais aussi les privilèges de la petite bureaucratie. Deux semaines après son entrée en service, le Conseil décide d’affecter une partie de son personnel au camp de Westerbork. Etty s’offre pour y aller. Elle y arrive en tant que « fonctionnaire », agissant comme infirmière, travailleuse sociale et même guide spirituel. À trois reprises elle peut sortir du camp pour des raisons de santé qui la ramènent à Amsterdam. Des amis veulent l’aider à se cacher, elle refuse. Le 5 juin 1943, elle reprend le chemin de Westerbork d’où elle partira avec sa famille vers Auschwitz le 7septembre de la même année.

Le jeu théâtral fait de paroles, silence et musique, sert admirablement les prises de conscience d’Etty. Par exemple, son attitude face à la souffrance issue de la terrible réalité :

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Son choix délibéré et généreux d’accompagner ses compatriotes vers une mort annoncée provoque l’étonnement chez  la grand-mère et sa petite-fille; elles ont bien du mal à s’en expliquer. Alors elles empruntent les mots d’une prière consignée au journal d’Etty :

« Mon Dieu, prenez-moi par la main, je vous suivrai bravement, sans beaucoup de résistance. Je ne me déroberai à aucun des orages qui fondront sur moi dans cette vie. (…) Je vous suivrai partout et je tâcherai de ne pas avoir peur. (…) Je ne veux rien être de spécial. Je veux seulement tenter de devenir celle qui est déjà en moi. » (Journal, p. 78)

Ainsi comme l’a écrit Jean Vanier, nous apprenons comment, d’une vie débridée, Etty a pu  devenir une femme qui a pas à pas découvert son centre et finalement la présence de Dieu en elle, sans être reliée à une église ou à une religion.

Chemin vers soi, chemin vers Dieu

C’est sans doute pourquoi le parcours d’Etty Hillesum  – les écrits et la pièce de théâtre de la Compagnie Le Puits –  a tellement de résonance. Spécialement auprès des nouvelles générations qui incarnent la recherche du sujet que la modernité a mis au centre de toute évolution. La quête de sens, de spiritualité, s’appuie en effet sur l’impérieuse nécessité d’être soi-même, de protéger ses intuitions contre le « prêt-à-penser » des institutions ou ce qui paraît comme tel. Le soi devient le premier maître intérieur, dont il faut bien démêler les influences, les scories, en devenant plus attentif à ses meilleures intuitions et aspirations. Un travail en profondeur commence et ne s’achèvera plus. Chez Etty, ce chemin l’amène à goûter l’expérience de la présence de celui qu’elle appelle Dieu.

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À quelqu’un qui lui reproche d’avoir une vie intérieure trop intense, nuisible à sa santé, elle explique qu’elle renouvelle ses forces au quotidien, par le contact avec la source originelle de la vie en elle, goûtant parfois le repos que lui offre un temps de prière. Puis l’essentiel est révélé :

« Quand, au terme d’une évolution longue et pénible, poursuivie de jour en jour, on est parvenu à rejoindre en soi-même ces sources originelles que j’ai choisi d’appeler Dieu, et que l’on s’efforce de laisser libre de tout obstacle ce chemin qui mène à Dieu (et cela, on l’obtient par un travail intérieur sur soi-même), alors on se retrempe constamment à cette source et l’on n’a plus à redouter de dépenser trop de forces. » (Journal, p. 226)

Source de force, de paix et de joie, tant de fois mise à l’épreuve chez Etty. Plus vivante que jamais, la voilà aussi confrontée au malheur des autres, dans le camp de Westerbork, que les comédiennes évoquent sur scène : voyez cette mère affaiblie, affamée qui n’a pu allaiter son enfant depuis trois jours; écoutez le gémissement de cette autre femme inscrite sur la liste des gens qui quitteront le camp le lendemain matin, mais qui n’a plus assez de vêtements secs pour partir. Comment leur venir en aide quand on n’a rien à offrir? Un tel dénuement ne prouve-t-il pas l’absence de Dieu?

Le silence des comédiennes est ici puissamment révélateur du paradoxe qui dérange : Dieu est un Dieu fragile, souffrant de son impuissance, obligé de s’appuyer sur notre coopération. Etty n’a pas de mots de consolation à offrir mais sa présence se fait offrande compatissante.

Paix dans le monde, paix en soi

En cette longue guerre, Etty se démène comme elle peut avec le ressentiment contre l’occupant qui veut l’anéantissement de son peuple. Elle écrit en mars 1941 : « C’est un problème de notre époque. La haine farouche que nous avons des Allemands verse un poison dans nos cœurs… on a parfois le sentiment de ne plus pouvoir vivre cette époque maudite»  (Journal, p. 18). Sa pensée devient plus radicale :

Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la paix en soi-même. Extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit. Ou bien domine cette haine et la change en autre chose, peut-être même à la longue, en amour…  Ou est-ce trop demander? »

Le Souffle d’Etty nous met ici en face d’une réalité contemporaine d’une brûlante actualité. Des forces politiques révolutionnent l’ordre établi dans certaines régions du monde en utilisant des stratégies de communication ultramodernes tout en posant des gestes qualifiés de barbares.  Nous sommes pris de court pour ramener la raison sur le chaos, ne disposant pas d’instruments de lecture pour décoder ces nouveaux malheurs. Nous peinons à redécouvrir l’être humain dissimulé sous l’habit du combattant qui refuse de se plier aux codes guerriers connus. Le désarroi succède à l’indifférence.

Même si nous vivons dans un pays en paix, les conflits vécus ailleurs ont un écho chez nous. Des mouvements migratoires jettent à notre porte des individus et des familles qui ont une autre langue, une autre histoire; cela dérange, déstabilise, voire contrarie nos perceptions. Cela nous interroge : sommes-nous prêts, suis-je disposée à écouter le récit de leurs aspirations et de leurs souffrances?

La non-connaissance est la source de tant de préjugés. Le travail d’Etty Hillesum pour élucider ses propres sentiments envers l’autre, étranger et occupant, montre un chemin d’ouverture qui est aussi un chemin vers la paix en soi et dans le monde.

Chère Etty, on voudrait comme toi « être un baume versé sur tant de plaies». (Dernière phrase du Journal, p. 246)

Gisèle Turcot, Montréal, novembre 2016

En savoir plus :

La Compagnie le Puits : www.compagnielepuits.com

L’Association des amis d’Etty Hillesum : http://www.amisdettyhillesum.fr/Quebec/quebec.html  ou contact au Québec : labelrp@videotron.ca

L’Association des Arches du Québec : www.archequebec.ca  Tél. : (514) 849-0110

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NOTE : Les citations de cet article sont extraites de

Etty HILLESUM, Une vie bouleversée. Journal 1941-1943, traduit du néerlandais par Philippe Noble. Suivi de Lettres de Westerbork, traduites du néerlandais et annotées par Philippe Noble. Paris, Éditions du Seuil, 1995.

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Artisans de paix

« De victime, je suis devenu guérisseur »

Le prêtre anglican Michael Lapsley a exercé son ministère et combattu l’apartheid, ce qui lui a valu d’être forcé de s’exiler au Zimbabwe. Le 28 avril 1990, trois mois après la libération du leader africain Nelson Mandela, une lettre piégée lui arrache un œil, ses deux mains et le rend presque sourd.

Il a survécu à l’attentat : pour lui et ses compagnons de lutte, c’est en soi une victoire sur un plan qui devait le faire taire à jamais. « Les personnes qui m’ont envoyé la lettre piégée sont davantage des victimes que moi-même », écrivait-il un an après l’événement.

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Par la suite, il lui apparut en clair qu’il fallait créer des espaces sécuritaires pour que les victimes des deux côtés puissent enfin exprimer leur douleur et leur colère, pour enfin commencer l’étape de guérison. Autrement les victimes deviennent des agresseurs. L’écoute des victimes est un moment sacré, un moment incontournable pour restaurer la dignité de la personne et lui permettre de libérer des forces vives. D’où la fondation à l’automne 1998 de l’Institut pour la guérison des mémoires (Institute for the Healing of Memories).

Il a l’habitude de dire que nous avons tous besoin de guérison soit à cause de ce qu’on nous a fait, soit à cause de que nous avons fait aux autres, ou de ce que nous avons omis de faire.

Michael Lapsley parcourt le monde pour offrir un processus de libération aux victimes de la violence sous toutes ses formes. Il s’incline devant la résilience des êtres humains qui parviennent « à plonger au plus profond d’eux-mêmes pour toucher un endroit qui leur permet de se projeter vers l’avenir, portés par un sentiment à la fois de paix et d’espoir, et de servir de lumière aux autres »

Lire l’inspirant parcours et portrait de cet artisan de paix, qui de victime de la répression, est devenu guérisseur des mémoires…

https://antennesdepaix.org/michael-lapsley/