L’APPEL À LA VIE!

Inondations ou feux de forêt, fusillades ou pandémie, images et statistiques nous parviennent en coups de vent. Des travailleurs humanitaires sont aux premières loges pour assister des populations, Nous sympathisons un moment avec ces communautés. Un malaise subsiste pourtant : nous sommes à court de moyens ou de contacts pour nous approcher en vérité de l’expérience des gens frappés par le malheur. Les événements lointains se dissipent avant que nous ayons pu leur donner hospitalité en nous-mêmes.

Antennes de paix croit cependant qu’il est humainement possible d’entrer dans une écoute de proximité et de solidarité, au risque de constater aussi notre impuissance, comme en témoigne le récit d’une psychothérapeute québécoise surprise par un appel de détresse venu du Liban.

L’APPEL À LA VIE!

En août dernier, je recevais un appel téléphonique d’une jeune sœur libanaise que j’avais accompagnée lors de son séjour d’études au Québec.

C’était un appel d’une personne en détresse!

La jeune sœur venait d’être témoin de la plus dévastatrice explosion au port de Beyrouth, à proximité de sa résidence. La radio annonçait que le drame avait causé 160 morts, plus de 5000 blessés et des centaines de milliers de sans-abri qui jonchaient les rues truffées de ferraille et de briques. En larmes, la jeune religieuse craignait que sa nièce qui travaillait aux boutiques du Vieux-Port soit blessée. La mère, sœur de la religieuse, suffoquait à la pensée que son fils pourrait être atteint d’un projectile ou mort sur-le-champ. Les sœurs de la communauté se demandent comment elles pourront porter secours aux jeunes familles du quartier qui frappaient déjà à leur porte pour nourrir leurs enfants?  Elles leur préparaient quelques plats cuisinés que parents et enfants appréciaient bien.

Le gardien du port, Haïdar Moussaoui, répète à haute voix : « Sans farine, ici c’est la famine! Le pain est la seule chose qui peut rassasier les pauvres d’ici ». Les responsables du peuple se demandent ce qu’ils peuvent faire puisque les silos de farine et de céréales ont volé en éclats lors de l’explosion. Les pauvres n’auront pas l’argent pour s’en procurer car c’est beaucoup trop cher au marché public.

L’appel de ma vie!

Comment répondre à cet appel, plein de douleurs, de tristesse contenue et d’attentes « miraculeuses »? L’appel m’est adressé au cœur du quotidien, sans aucun avertissement. J’entre dans une dynamique du provisoire comme le disait Roger Schutz, prieur de Taizé. Seul l’instant présent compte et m’incite à réagir. À sept heures de décalage au fuseau horaire, le moment présent a valeur d’éternité! Je me fais proche, comme le Bon Samaritain, de la personne accablée par la tragédie. J’écoute chaque inquiétude nommée, chaque respiration saccadée, chaque incertitude balbutiée.

Je suis sans pouvoir pour résoudre cette situation dans l’immédiat. Je me fais « écoute », j’épouse le langage du cœur, de la proximité, de la compassion. Je risque quelques paroles de consolation qui auront peut-être un retentissement dans la vie de foi de ces sœurs. Elles savent par expérience que la souffrance n’est pas un mot usuel mais que c’est une réalité qui a pris place au quotidien dès leur enfance. Elles ont vécu des temps d’exil en montagne avec leur famille, des abandons de leur maison au village pour éviter la rafle des ennemis, des stratégies multipliées pour échapper au bombardement dans les écoles et dans les hôpitaux.

L’appel de ma vie, en ces circonstances précises, consiste à entendre des questions sans solutions immédiates, des incertitudes sans horizon, des fragilités sans espoir. L’appel se vit dans l’humilité en étant « écoute » à la manière d’Eulalie Durocher, notre fondatrice, et non dans le triomphe du savoir.

Deux jours après l’explosion, des universitaires se réunissent avec des animateurs et animatrices désignés pour prier et réfléchir sur la tragédie qu’ils ont vécue. Une question leur est posée : « Comme les disciples d’Emmaüs, chemin faisant, qu’avez-vous vu dans votre quartier et que voulez-vous faire ? » 

Les jeunes ont du mal à retenir leur désespérance devant l’insouciance des dirigeants, leur désarroi devant les ruines de la ville, leur colère vive devant la destruction de leur école. Chemin faisant dans le quartier, les jeunes ont croisé des sages du pays qui les ont invités à se tenir debout, à se relever pour construire un monde plus juste. Touchés jusqu’aux entrailles par cette « sagesse », les jeunes ont décidé en accord avec leurs animateurs d’affirmer la toute-puissance de la vulnérabilité de Dieu en déposant l’Ostensoir au centre des débris. Ils se sont recueillis en méditant l’appel du prophète Michée 6,8 :

Photo : Jean-Marie Sleiman

« On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que Yaweh attend de toi : rien d’autre que d’accomplir la justice, d’aimer avec tendresse et de marcher humblement avec ton Dieu. »

Au même moment, dans toutes les vitrines au Québec, on voit le signe de l’arc-en-ciel qui signifie « Ça va bien aller ». Si nous lisons ce signe à la manière de Dieu, décrit dans la Genèse 9, 9-17, nous constatons que l’arc-en-ciel est avant tout un signe d’alliance, de communication et de relation. L’arc symbolise le Christ qui nous invite à entendre les appels de nos frères et sœurs en humanité, quelle que soit leur origine.

Comment ne pas prier quand je sens toute mon impuissance devant autant de misère.

Apprends-moi, Seigneur à être présence et service auprès des gens qui souffrent.

Sans toi, je ne peux rien. Inspire-moi le bon geste que tu aurais accompli, toi,

afin de redonner vie à celui ou celle qui dépérit.

Yolande Frappier s.n.j.m

Mars 2021