Cette recherche de fond à été rédigée par Amandine Ongotha Russell, lors d’un stage aux Antennes de paix, dans le cadre de son cours en communications sociales à Université Saint-Paul.
Nous sommes tous influencés par le monde numérique
Nous savons tous que l’univers numérique change notre manière de prendre les décisions, de nous comporter les uns avec les autres. Bien que nous soyons, pour plusieurs d’entre nous, dépassés par son fonctionnement, nous pouvons bénéficier de ce monde numérique. Nous vivons quand même dans une époque extraordinaire dont il faut profiter. Dans le quotidien, Internet peut être considéré comme un train qui nous amène à bon port. Le voyage peut s’effectuer dans la peur d’un accident, ou la foi que tout le parcours s’effectuera dans de bonnes conditions. La confiance nous amène à vivre de belles expériences alors que la peur paralyse nos élans et nous empêche de nouer de nouvelles amitiés qui peuvent durer toute une vie.
Le monde virtuel joue un rôle important dans nos vies, en multipliant nos communications avec des personnes qui vivent à l’autre bout du monde. Des générations différentes peuvent se rencontrer à mi-chemin, afin de mieux se comprendre et de s’ajuster au monde dans lequel chacun vit. Échanges entre les personnes, échange et diffusion de connaissances à l’échelle planétaire : quel outil puissant !
Toutefois la recherche d’une communication toujours plus rapide comporte aussi des limites et quelques pièges mis en évidence lorsque des comportements sur les médias sociaux sont cités en procès. Usagers consommateurs, sommes-nous suffisamment conscients des règles du jeu, en avons-nous la maîtrise ? Rien n’est moins sûr. Nous ressemblons quelquefois à un voyageur qui passe à côté de belles rencontres, trop concentré dans la peur de se faire parachuter par le train.
Voici quelques réflexions qui invitent à cultiver des habitudes plus responsables dans le recours aux outils disponibles sur Internet.
1 – S’informer davantage pour mieux saisir Internet
Aujourd’hui, beaucoup de personnes ne peuvent plus se passer de l’univers numérique, sans compter le temps qu’ils y accordent. Malgré tout ce qu’on entend, nous sommes tous d’accord que le web est un phénomène incontournable dans nos vies. Toutefois, tout laisse croire que nous n’avons pas suffisamment d’informations pour comprendre le fonctionnement du web et surtout le comportement qu’il faut adopter en ligne.
Comprendre le fonctionnement d’Internet
Pour éviter les problèmes qu’on retrouve dans l’usage d’Internet et profiter pleinement de son utilisation, il est impératif de comprendre comment son aspect technique fonctionne. Dans son article Influence sur internet, Didier Heiderich couvre en profondeur cet aspect. « Internet a la particularité de conserver longtemps les données, ceci parfois à l’insu de ceux qui les émettent, même lorsqu’elles semblent effacées de leur site web d’origine, et ces données restent enfouies dans les arcanes numériques et peuvent resurgir à tout moment ».
Surprise : les algorithmes reconstruisent notre attitude en ligne
D’après Heiderich, « les algorithmes permettent aux individus d’accéder à une gigantesque mémoire ». Quand les internautes s’exposent, les algorithmes arrivent à identifier et à mettre ensemble ces parties, comportements et attitudes individuelles ou collectives que Andrean Chan appelle « des personas », dans Principles of Social interaction Design, An Essay, Campus Virtuel.
Heiderich explique les conséquences du « persona en ligne ». D’après lui : « les internautes livrent spontanément sur internet une part de leur vie, de leurs sentiments et états d’âme à l’encontre de l’autoritarisme ambiant ». Un des points qui semble revenir est l’urgence, la vitesse avec laquelle l’information circule, exigeant « la satisfaction du moment ». Heiderich souligne que ces moments intenses entretiennent de l’anxiété chez l’internaute et l’obligent à être « en perpétuel mouvement sur le fil qui sépare l’euphorie de la dysphorie, et l’expérience agréable ou douloureuse ». Ceci pour dire que suite à l’adaptation à la vitesse, le comportement des participants en ligne change.
Conséquences de la vitesse et de l’urgence dans Internet
L’auteur incite les internautes à développer une conduite acceptable pendant leur interaction en ligne. Il explique le fonctionnement de la mémoire du web : « plutôt que de s’encombrer des mémoires anciennes, Internet permet aux individus d’accéder à une gigantesque mémoire constituée aussi bien de documents académiques que d’opinions personnelles ». Sauf que la nouvelle génération est capable d’aller chercher l’information dans la mémoire d’Internet, ce qui entraine un mélange entre « informations et désinformations, entre savoir magnifique et son contraire, non pas pour la qualité de l’information, mais plutôt sa visibilité et son accessibilité ».
Nous « laissons nos traces » dans le web
Les auteurs Dominique Carré et Robert Panico aident à comprendre les conséquences inhérentes à l’accessibilité et à la vitesse de l’information. Le profil en ligne est examiné par les algorithmes, cela montre que la liberté est mesurée, « ces mille traces indélébiles que nous laissons parfois à notre insu, mais souvent aussi en conscience, sur les réseaux sociaux sont reprises ». Les deux auteurs offrent une nouvelle perspective qui est « la possibilité du contrôle ». Pour mieux comprendre ce phénomène, ils expliquent leur réflexion par « le contrôle, très actuel et si particulier aux sociétés dites d’informations, à la fois ouvertes, incitatives et sécurisées, et qui font suite comme l’a montré Foucault aux sociétés disciplinaires quant à elles plutôt fondées sur l’enfermement et l’interdit ou disons la restriction, et la surveillance » (Carre et Panico 2010).
Trop de relations virtuelles ?
Nous observons que certains internautes s’inquiètent, et trouvent que toutes ces nouvelles technologies nous poussent à perdre nos valeurs humaines. Par exemple, le besoin d’écouter l’autre qui s’accompagne de cette chaleur humaine tend à se perdre. D’après certains, il devient de plus en plus impossible de toucher amicalement une personne en détresse, ou qui a un malaise, puisque toutes les communications se font à travers un écran. Tout cela semble nous montrer que la sensibilité humaine se perd peu à peu.
Toutefois, cela ne devrait pas empêcher de reconnaitre les bienfaits d’Internet. C’est vrai que, grâce à la rapidité des nouvelles technologies, les informations nous révèlent qu’il y a ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Les pays riches continuent de s’enrichir alors que les pauvres continuent de s’appauvrir. Toutefois, au niveau global, l’ère des communications donne quand même à voir qu’il y a de l’espoir. Nous pouvons apprendre à apprécier toutes les transformations entreprises depuis des années en tant que famille planétaire.
2 – Violence dans les nouveaux médias : inévitable ?
Nous sommes à juste titre préoccupés par l’épineux problème du harcèlement, de la violence directe ou représentée dans les médias sociaux.
Certains comportements dans les réseaux sociaux qui ont pour but de ridiculiser, peuvent humilier et même provoquer des gestes désespérés. On le voit dans l’histoire de la jeune adolescente qui se donne la mort en Belgique suite à des harcèlements sur les réseaux sociaux en 2014. Selon Eticbelgium « le suicide de Louise s’inscrit dans le contexte d’un échec scolaire, mais aussi de harcèlement sur les réseaux sociaux et les parents ignoraient toutes les difficultés rencontrées par leur enfant, mais surtout, il n’y avait aucun signe de détresse ».
Andrea Martinez, professeure à l’Université d’Ottawa, s’est penchée en 1994 sur l’étude scientifique conduite par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Elle partage les divers points de vue de différents spécialistes : certains affirment que « l’exposition » à la violence des médias provoque l’agression, alors que d’autres disent que les deux sont liées ; par contre, selon d’autres spécialistes, les effets psychologiques de la violence dans les médias sont à l’origine des comportements agressifs, car « la mise en scène de la violence va de pair avec une accélération du rythme cardiaque, une respiration plus rapide et une augmentation de la tension artérielle ».
Andréa Martinez explique aussi que certaines études récentes affirment que « les jeux électroniques violents ne conduisent pas à une augmentation de la criminalité : en fait, les crimes violents diminuent depuis que les jeux font partie des activités courantes des jeunes ». D’après le document, cette affirmation serait donc la bonne nouvelle, alors que la mauvaise nouvelle serait le fait que « les jeux électroniques peuvent désensibiliser les joueurs à d’autres images et stimuli émotionnels de nature violente ».
Selon ces spécialistes la possibilité que les médias soient un facteur de risque chez les jeunes est bien présente, mais ces derniers ont aussi observé d’autres causes souvent mises de côté comme la pauvreté, le manque d’éducation, la discrimination et la vie familiale. Ils expliquent que « de nombreuses sources de contenu violent sont satiriques et ne devraient pas être prises littéralement ou comme une valorisation de la violence ». Selon eux, « le problème est qu’un grand nombre de ces produits médiatiques sont aussi destinés aux adultes ou à une audience âgée ».
Pouvons-nous éviter les images qui évoquent la violence ?
Les images occupent une grande place dans notre société et dans le monde dans les journaux, la télévision et Internet. Elles sont les faits tangibles qui vont pousser les gens à se réveiller afin de prendre des décisions qui permettront d’atténuer la violence dans le monde. Ces images montrées en même temps par la rapidité et l’accessibilité des nouveaux médias, nous branchent et font que notre attention reste concentrée sur les tragédies et les conflits. Ceci nous fait réaliser que nous vivons tous ces réalités de façon collective, de la situation la plus simple à celle qui dépasse notre entendement. Par exemple, la joie de passer les fêtes de Noël, dans le calme, entouré de sa famille et de ses amis, alors que d’autres informations beaucoup plus tristes ou choquantes se vivent au même moment- comme la situation des Syriens qui continuent de fuir massivement leur pays en ruines et les combats qui opposent le régime de Bachar Al-Assad aux rebelles et au groupe armé État islamique (EI).
3 – Futur employé, attention ! Un profil négligé peut être compromettant
Les réseaux sociaux ne sont pas les meilleurs défenseurs et amis des jeunes, surtout dans le monde du travail. Une étude internationale citée par le journaliste Matthieu Carlier porte sur le comportement insouciant des jeunes générations et leur avenir professionnel. « 6000 jeunes de 16 à 34 ans de six pays développés ou en voie de développement y ont participé (Royaume-Uni, États-Unis, Nigéria, Inde, Brésil et Chine): environ 10% d’entre eux se seraient vus refuser un emploi à cause de leur profil sur un réseau social, que ce soit pour une photo compromettante, des blagues mal placées ou autres ».
Différents auteurs montrent que certains internautes sont accusés et pris au piège par leurs attitudes en ligne. Alors que d’autres sont réprimandés et perdent la réputation qu’ils ont bâtie dans la famille numérique, pour ensuite, le vivre comme une trahison.
Les gestes que nous posons sans réfléchir
Dans ce nouveau monde de l’information et de la communication, le consommateur oublie souvent certaines règles de conduite. Un salarié de Lyon a tenu des propos négatifs à l’encontre de son employeur. Alors qu’il pensait que ses commentaires étaient privés, l’employé n’avait pas réalisé que les conditions de son compte Facebook étaient accessibles au public. Ses collègues de travail ont rapporté ces conversations à leur employeur qui a aussitôt licencié cet employé.
Maitre Anthony Bem constate que « si les candidats à un poste de travail peuvent faire l’objet d’une enquête par leur recruteur grâce à Internet, les salariés peuvent être surveillés par leur employeur sur les réseaux sociaux, surtout lorsque leur profil est ouvert au public ».
Internet, le couteau à double tranchant
Bien que le monde virtuel soit très éducatif, on doit quand même se mettre à l’abri contre ceux qui sautent sur l’occasion de notre inexpérience ou vulnérabilité en ligne. L’avantage est que c’est un outil excellent pour la recherche et cela augmente le partage du savoir. L’inconvénient est qu’on observe certains devenir très dépendants des relations virtuelles et oublier d’entretenir les anciennes relations. Nous savons que nous obtenons beaucoup d’informations d’où vient l’importance de prendre des mesures de précaution.
Consommer dans la paix et le respect en ligne
Internet offre tellement de possibilités pour venir en aide aux autres, de façon individuelle, collective et mondiale. Cette prise de conscience peut commencer par la gratitude d’avoir cet outil, comme un cadeau, qui nous aide à ressentir la joie d’arriver à bon port après un long voyage en train.
Internet n’est pas là pour nous faire perdre nos valeurs, au contraire, la responsabilité revient à chacun de nous de les maintenir en faisant des efforts consciencieux. Le plus beau cadeau n’est pas tout ce que nous continuons de rêver d’avoir ou de posséder, mais plutôt de prendre le temps de nous arrêter, de contempler et d’apprécier ce qu’on a déjà, aujourd’hui.
Amandine Ongotha Russell
Ottawa, avril 2017
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Références
BEM, Maitre Anthony, Avocat à la cour de Paris, Licenciement pour faute suite aux propos diffusés sur Facebook contre son employeur, 2015.
CARRE, Dominique et Robert PANICO, L’ « affichage de soi » comme puissance d’agir ; contrôle social et enjeux éthiques à l’heure de l’hyperconnectivité, chapitre quatre du livre publié sous la direction de Serge PROULX, Mélanie MILLETTE et Lorna HEATON, Médias sociaux. Enjeux pour la communication, Presses de l’Université du Québec, 2012.
CARRE, Dominique et Robert PANICO, Du fichage subi à l’affichage de soi, Éléments pour une approche communicationnelle du contrôle social, Nouveau millénaire, Défis libertaires (2010).
CARLIER, Matthieu, journaliste, Réseaux Sociaux, 1 jeune sur 10 se serait vu refuser un emploi à cause de sa présence en ligne, Le Huffington Post, en association avec le groupe le Monde, 2013.
CHAN, Andrean, Principles of Social Interaction Design. An Essay, Campus Virtuel
ETIC BELGIUM, Harcèlement sur les réseaux sociaux. Vidéo de Louise Altenhoven.
HABILO MEDIAS, Que savons –nous à propos de la violence dans les médias ? Centre Canadien d’Éducation aux MeI de LITTÉRATIE numérique.
HEIDERICH, Didier, Influence sur Internet. Perceptions et mécanismes d’influence sur Internet dans la société de l’urgence, Observateur International des Crises (OIC), Magazine de la communication de crise et sensible, Éditions, OIC 2009, p. 2-16.