La violence est un fléau répandu comme les tiques qui attaquent sournoisement et se collent à leur victime pour les tuer à petit feu. La violence systémique véhiculée dans les médias et les réseaux sociaux reste trop souvent banalisée parmi des faits divers comme la lutte pour sauver des chevreuils, les accidents routiers ou les scandales de corruption.
Sans une attention particulière et approfondie de sa présence partout au quotidien, elle finit par habiter beaucoup d’esprits prédisposés à entendre les voix intérieures de leur malaise psychosocial ou émotionnel, de leur égocentrisme ou de leur sentiment de supériorité. Les événements se font trop nombreux pour que nous les taisions. Actuellement, la violence à l’égard des femmes occupe beaucoup de place dans l’opinion publique, ce avec raison, car elle s’exerce sous la main d’individus certes, mais elle naît d’abord et avant tout dans un ordre systémique.
Regardons l’exemple d’une forme de violence psychologique. Pendant que sur son lit d’hôpital, une femme attikamekw en détresse, Joyce Echaquan, appelait à l’aide, on l’insultait et on la réduisait à l’état d’un animal délirant devant sa mort prochaine; l’indignation collective s’est manifestée spontanément devant ces propos inacceptables et humiliants. Un tel acte de violence résultait probablement d’un racisme construit sur des préjugés assumés par les personnes actrices du drame qui ont abusé de leur statut de supériorité professionnelle sans compassion.

La violence se traduit dans des actes publics, mais très souvent dans l’intimité de la vie familiale ou derrière les portes anonymes d’une chambre d’hôtel. Quand une femme se barricade dans sa solitude et se drape de la soumission, du silence ou de la résignation, même armée du bouclier de l’espoir, elle montre sa vulnérabilité et son statut de victime d’un système violent; en somme, elle exprime le fait qu’elle commence à perdre sa bataille contre la haine. Elle se sent inoculée du venin de l’impuissance chronique silencieuse et insidieuse devant la montée graduelle de l’acharnement brutal. Les tactiques de la maltraitance sont bien connues : mépris, humiliation, menaces verbales, contrôle excessif et atteinte à la liberté, coups, etc. Dans une telle dynamique répétée au quotidien, une personne peut lancer des S.O.S. dans l’attente de réponses, mais trop souvent, son cri se perd dans les nuages de l’indifférence, de l’indolence, de l’ignorance crasse ou tout simplement de l’incompétence voire même de la condamnation; c’est un autre débat, mais nous pourrions ergoter longtemps sur les complications des services d’aide bureaucratisés. Alors, le drame se poursuit, prend de l’envergure et conduit à l’inéluctable épilogue, la mort de la femme.

La haine triomphe trop souvent sur l’amour quand un Minotaure utilise la torture physique et mentale avant de finir par assassiner par les coups de poing et de pied, l’arme à feu, l’arme blanche, la hache, la noyade, l’étranglement, et même le feu. Tout arrive trop tard; il ne reste qu’à constater le drame. Une prévention adéquate et une vigilance calculée auraient peut-être pu sortir cette victime de sa solitude, mais reste la possibilité de hurler à l’injustice dont sont victimes trop de femmes dont le cri et la douleur sont étouffés entre des murs, ses murs intérieurs et les murailles physiques du silence de la société.
À la recherche de solutions
Face à ces trop nombreuses tragédies s’impose une réflexion sur les droits des femmes, sur la perception de l’égalité homme-femme, sur l’éducation civique des hommes et surtout sur la nonviolence comme principe de gestion des rapports sociaux. Mon ami Dominique Boisvert a réfléchi à la question et il a proposé des pistes de réflexion prometteuse. Il jette un regard critique sur les sources du pouvoir et de la violence. Il y dénonce les dérives du néolibéralisme prédateur de toutes les ressources de la planète, y compris de la force de travail de millions de travailleurs et de travailleuses. Il s’explique au sujet de l’approche nonviolente. Ce mot désigne pour moi cette attitude globale de bienveillance tant à l’égard des autres humains que de la création tout entière. Une attitude faite de respect profond, d’ouverture et de gratitude, qui cherche à construire ensemble sans dominer ni exploiter. Il s’agit donc d’une conception particulière de la vie et du monde1. Et il aimait répéter, pour caractériser son militantisme de la nonviolence active, qu’une telle attitude exige l’implication directe et le courage de ses convictions en conformité avec la pensée de Gandhi, lequel, écrit-il, est le symbole par excellence de la nonviolence2.
L’approche des rapports sociaux basée sur la nonviolence s’avère une des clés pour lutter contre la haine et la violence. Mais l’application des principes de l’amour, du dialogue et de la nonviolence s’avère difficile à mettre en œuvre quand entrent en jeu les intérêts mesquins, financiers et tout simplement matériels ou bien émotionnels en termes de recherche du pouvoir et de la domination; les jeux d’intérêts de divers ordres dominent les moteurs de l’agir. Beaucoup d’hommes se croient encore et toujours les maîtres en tout et peinent à reconnaître les femmes comme des citoyennes égales et dignes de respect.
Il importe d’identifier et de reconnaître les manifestations de la haine et de la violence sur le plan systémique et de pousser l’État et ses institutions (services publics, services scolaires, services de santé, etc.) tout autant que les entreprises privées à développer des plans d’action cohérents pour promouvoir la nonviolence et la médiation des conflits plutôt que le laisser-faire. À cet égard, et à titre d’exemple de revendication à caractère systémique, il faut saluer l’initiative des instances des communautés Attikamekw de faire connaître la discrimination dont elles sont victimes devant le monde entier3 : les Atikamekw de Manawan déposeront lundi, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, des plaintes devant cinq instances des Nations unies. Ils demanderont à autant de rapporteurs spéciaux de déclarer que les droits de Mme Echaquan ont été brimés avant sa mort.

Comme épilogue, rappelons qu’au-delà des dimensions structurelles du phénomène de la violence à l’égard des femmes, chaque individu est interpellé par l’existence de la violence, particulièrement quand il s’agit des rapports entre les hommes et les femmes. Il nous importe de méditer sans cesse la profondeur de l’amour et de la paix afin de pouvoir agir dans notre vie au quotidien et dans l’espace public.
Dans notre quotidien, cherchons l’amour et la paix. Tentons de détecter les germes de haine pour éviter que cette dernière ne gangrène notre entourage et les relations au sein de la société engluée dans le cancer de la surconsommation, de l’individualisme et de la lutte sans fin pour le pouvoir, la domination voire l’exploitation violente sous mille formes.
Nombre d’occasions nous sont données d’entonner des chansons d’amour populaires célèbres comme Quand on a que l’amour (Jacques Brel) ou Quand les hommes vivront d’amour ou Juste l’amour (Raymond Lévesque) et combien d’autres. Mais il ne faut pas attendre la mort, comme le chantait ce dernier, pour agir : Quand les hommes vivront d’amour, nous nous serons morts mon frère… Bien au contraire.
En résumé, il faut peut-être considérer les principes qui animent l’amour fait de respect et de responsabilité. Les fondements des religions sont dits inspirants pour le vécu dans l’amour et le respect; il faudrait donc mettre l’épaule à la roue et appliquer les principes prêchés, comme le dit la prière de saint François d’Assise : là où il y a haine, que je mette l’amour…
André Jacob, artiste pour la paix (écrivain et artiste-peintre)
Professeur retraité de l’École de travail social de l’UQAM
8 mars 2021
1 Boisvert, Dominique (2017). Nonviolence : une arme urgente et efficace. Montréal, Éditions Écosociété, p.16.
2 Ibid. p. 72
3 Sioui, Marie-Michèle Les Attikamekw se tournent vers l’ONU pour obtenir justice au nom de Joyce Echaquan In Le Devoir (5 mars 2021).
https://www.ledevoir.com/societe/596388/mort-de-joyce-echaquan-les-atikamekw-se-tournent-vers-l-onu