Peuples autochtones – Il nous reste tant à apprendre d’eux

Aujourd’hui, le 9 août, nous célébrons la Journée internationale des peuples autochtones.

Sur les chemins de la véritable réconciliation et paix, ainsi que pour retrouver le lien sacré avec l’ensemble des êtres vivants et notre planète, il nous reste tant à apprendre de la sagesse des Premières Nations.

À la fin du mois de mai dernier avait lieu à Trois-Rivières, au sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, un événement intitulé : « Rencontre entre les Premières Nations et les peuples immigrés au Québec depuis 30 ou 400 ans ».

C’était un bel acte d’humilité d’inviter les communautés à une telle rencontre sur une toute autre base que l’approche paternaliste que l’on avait connue pendant tant d’années. Et ce fut une inspirante démonstration de résilience de la part des autochtones qui, tout en témoignant des souffrances encourues suite à la dépossession de leurs terres et de leur culture, et également pour certains de leur enfance volée dans les « pensionnats indiens », n’ont jamais pris un ton accusateur vis-à-vis des « blancs » qui étaient en minorité durant les ateliers.

Voici une sélection de paroles de vérité et de perles de sagesse échangées durant la rencontre.

Dépossession

N’ayons pas peur des mots, il reste une vérité incontournable : les autochtones du Canada, comme ceux de beaucoup d’autres pays, ont vécu une dépossession majeure de leur territoire et de leur culture au cours des 500 dernières années.

Plusieurs en ont témoigné en termes très simples, sans amertume, mais sans équivoque.

« Avant les amérindiens étaient chez eux. D’autres sont venus, maintenant tout ce qui reste c’est un petit coin qui s’appelle réserve indienne. »

« La nouvelle technologie (chemin de fer, routes) a tout chamboulé. Barrages : inondations. On ne se reconnaît plus dans le territoire. »

D’autres ont témoigné de la difficulté à vivre hors de la réserve, ne pouvant plus « aller pêcher ni aller à la chasse dans les bois. »

 

À propos de la perte d’identité et de la honte de sa propre appartenance

« Je suis parti six ans (au pensionnat), je ne savais plus qui j’étais. »

Une autochtone qui vit dans une communauté qui n’a ni eau potable ni électricité partage : « Au pensionnat, j’ai appris à détester les autochtones, à en avoir honte. » C’est sa famille d’accueil allochtone qui lui a appris à penser autrement, à comprendre qu’il y avait des nuances à apporter, une compréhension à acquérir, des traditions nobles à reconnaître. Cette dame est retournée dans sa communauté et travaille maintenant à aider les jeunes à réapprendre et à reprendre possession de leur identité.

Un homme renchérit : « Quand je suis sorti des pensionnats, J’haïssais les autochtones. Tout ce que j’ai subi au pensionnat je l’ai fait subir à mes enfants. » Il a réussi à s’en sortir, avec l’aide de tous ses amis, autochtones et allochtones.

 

Pardon

Beaucoup ont témoigné de la nécessité de pardonner :

« Ce qu’il y a à faire c’est pardonner.
Le reste est mort. Je ne veux rien attendre. »

« Ceux qui m’ont fait du mal sont sous terre,
je pardonne à la terre,
la terre va les pardonner. »

 

Démarche de guérison

 

Certains ont confié que témoigner fait partie de la guérison et de l’importance d’être entouré.

Une femme victime de violence conjugale raconte : « Si je m’en suis sortie, c’est parce qu’il y avait du monde sur mon chemin. »

Une autre femme victime de sévices dans les pensionnats a réalisé à 50 ans qu’elle avait besoin d’autre chose pour se guérir. Elle est partie vivre un an en forêt. Sa mère, une véritable bibliothèque vivante qui connait les noms des plantes médicinales, arbres et animaux l’a beaucoup aidée à récupérer. Cela lui a pris un an pour tout réapprendre. Maintenant elle donne aux enfants et leur enseigne ce qu’elle a reçu. C’est comme ça qu’elle a fait sa guérison.

Une autre témoigne que cela ça lui a pris 7 ans pour « tout réapprendre les choses de la forêt. »

 

En appel de réconciliation

« Dans notre communauté il y a beaucoup à faire pour la réconciliation. »

« Dans la communauté, quand on parle de réconciliation on parle d’acceptation. »
« Acceptation qu’il y a eu des pensionnats et d’autres religions. »
« Accepter le monde tels qu’ils sont »

Ce n’est pas facile parce que certains en veulent encore pour les sévices qu’ils ont vécu.

« La réconciliation, il faut la faire avec soi-même avant de la faire avec les autres. Pas toujours évident! On ne peut pas défaire ce qui a été fait, mais on peut l’accepter et miser sur le bon. Avec une pomme pourrie, on enlève la partie pourrie et on fait une bonne tarte aux pommes avec le reste. »

« La fidélité au meilleur de soi-même est un chemin qui nous amène à notre vérité. »

« Si tu t’aimes un peu, alors t’aimes les autres »

« C’est un gros mot la réconciliation. Moi j’ai l’espoir qu’on va tous être frères et sœurs un jour. »

Un héritage commun

Aucune plante ne peut fleurir si elle est coupée de sa racine. Ultimement nous sommes toutes et tous descendant-e-s de peuples autochtones.

Certains peuples occidentaux ont eu cette folle prétention de croire qu’à force d’expansion colonisatrice, au point de se couper de leurs propres racines, ils seraient en mesure de construire un ordre nouveau qui échapperait aux lois de la nature.

La notion d’héritage transmis par les anciens est très importante chez les peuples autochtones, et cette transmission a été fortement malmenée par l’arrivée des peuples colonisateurs.

« Nos racines ont été coupées par la colonisation. »

Une femme se souvenait des riches valeurs et des forces de la communauté, de l’esprit d’entraide, de la générosité. :

« Les enfants sont aimés, les personnes âgées respectées. »

Cette seule dernière phrase suffirait à bâtir une civilisation forte et pleine d’humanité. À notre époque, à force de rechercher à tout prix la nouveauté et le progrès, ce qui est « ancien » devient vite périmé, d’où la coupure avec les racines et l’héritage ancestral. S’il n’y a plus rien de sacré à transmettre, il n’est pas étonnant que les jeunes décrochent…

Une autochtone de 85 ans venue au monde dans le bois, sous une tente et entourée de sapins, mentionne le décrochage des jeunes. Elle dit avoir appris ses fonctions de femme innue dans le territoire, dans la nature : « On hérite de quoi aujourd’hui? On a perdu l’héritage. »
Elle dit que c’est ce qui est triste dans son histoire.

D’autres mentionnent que le cœur humain est devenu vide. On veut le combler par la consommation et les possessions, ce qui vient polluer notre cœur.

En langue innue, le mot ‘propriété’ n’est pratiquement pas traduisible.

Une femme évoque le fait d’être nomade sur le territoire, avec ses jambes pour seul moyen de transport. « La nature c’est la vraie vie : portage, canots, couvrir beaucoup de territoire, pas d’avion, pas de routes ni de camions »

« Comment transmettre à nos petits-enfants qu’ils ont une place dans le cercle? »

Un prêtre africain témoigne : « Le contact avec le peuple Innu m’a transformé. Depuis que j’ai découvert ce peuple j’ai appris que l’humanité est une. »

Retrouver ce qui donne un sens à la vie, la dimension d’ensemble, de collectivité :

« Aider son prochain,
aimer son prochain,
agir ensemble,
comme les bernaches… »

Ces enseignements et partages nous amènent à ralentir et à considérer la vie sous un autre angle…

Une seule terre

Nous, les peuples « immigrés », avons enseigné aux peuples indigènes notre culture, notre religion, nos coutumes, nos lois, nos valeurs commerciales et économiques, tout ce que nous avons appelé la « civilisation et le progrès ».  Force nous est de constater aujourd’hui que ce fameux progrès, sensé nous amener vers un monde meilleur, menace comme jamais la planète et la survie de l’humanité sur terre.

« Les gens veulent de l’argent et des emplois. C’est important, je ne juge pas, mais je demande de regarder l’ensemble, d’avoir une vision plus large. »

« Mettre de côté la consommation et les possessions pour le bénéfice de tous. »

« Depuis que je me suis engagé auprès des Innus, ma relation avec le cosmos a beaucoup évolué, je ne vois plus la nature, les lacs, les arbres, comme des commodités mais comme des créations qui ont besoin d’être respectées. »

« Si on veut vivre ici, il faut apprendre à aimer la terre. Quand on aime la terre, on ne laisse personne la violer, l’abuser, l’exploiter… »

« La forêt donne à manger à tout le monde si on ne la coupe pas. »

Et à propos de l’empreinte écologique :

« Pas besoin de ‘maganer’ la terre pour faire un village. Pas besoin de creuser pour des fondations, pas besoin de ciment, de couper des arbres, etc. Les Innus dansent, chantent, mangent la nourriture traditionnelle. Le campement est ramassé le dernier jour. Rien ne reste comme détritus. »

Se rejoindre au-delà des différences

Un homme confie que cela le rend heureux que tous soient ensemble lors de la rencontre.  Cela lui fait du bien de voir tout le monde, d’entendre tout le monde. Il témoigne du bienfait des nombreux peuples présents et des personnes de tous âges venues de loin.

Dans sa présentation, Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, a tendu la main au travers de diverses paroles rassembleuses :

« J’ose croire que nous sommes toutes et tous rendus à cette étape là, de trouver la meilleure façon d’aller vers l’un et l’autre. »

« On a du rattrapage à faire, cinq siècles environ… »

« Il y a là une belle opportunité qui nous demande d’être novateur. »

« Notre avenir collectif est le même pour tous. »

Le chef a terminé en enjoignant les participant-e-s à « aller plus loin que la rencontre, à vivre la communion. »

Merci aux organisateurs

Il fallait oser la faire cette rencontre entre les Premières Nations et les peuples « immigrés »!

C’était une première, suite aux audiences de la Commission de vérité et réconciliation, tenues en 2013. C’était à la fois audacieux, courageux et aussi profondément souhaité, en particulier de la part des Missionnaires Oblats qui ont accueilli la rencontre. Ceux-ci, tout en ayant toujours été très proches des communautés amérindiennes, ont officiellement présenté leurs excuses en 1991 pour avoir participé à « l’impérialisme culturel, ethnique et religieux qui a marqué la mentalité avec laquelle les peuples européens ont abordé les peuples autochtones ».

Cette demande de pardon et cette main tendue dans l’espoir d’une alliance renouvelée reste toujours le premier jalon de toute démarche de réconciliation et de paix. La rencontre tenue au sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, à laquelle participaient 11 communautés des Premières Nations, même si elle n’a pas fait beaucoup de bruit, est un important pas en ce sens.

Les participant-e-s en ont témoigné. Un homme a entre autres trouvé que les témoignages qu’il a entendus étaient extraordinaires.

Une femme, exprimant sa gratitude, s’est dite « agréablement surprise des rencontres », en affirmant qu’il s’agit d’un début d’un temps nouveau.

D’autres ont rappelé que « dans la culture amérindienne, tout le monde a sa place ». Et aussi que les grands changements commencent par un travail personnel et qu’il nous faut lâcher nos peurs pour avancer.

Bernard Ménard, l’initiateur de la rencontre témoigne de son côté : « Nous ne voulions pas que ce temps précieux en soit un de spectacle, comme lors de l’ouverture des compétitions sportives ou de parades. Rencontrer pour vrai suppose le partage des blessures, ouvrant à la compréhension plutôt qu’à l’exclusion. Le partage des richesses aussi afin de créer la solidarité nécessaire pour rêver ensemble d’un avenir meilleur pour tous, en reconnaissant l’apport de chaque culture et civilisation. Comment faire la part entre les progrès dont bénéficient l’humanité, y compris les autochtones, et la nécessité de retrouver une sagesse ancestrale?»

Bernard Ménard, assisté de Nicole O’Bomsawin du Collège Kiuna et de Jean-Noël André d’Espace Art Nature, reconnait comme d’autres que nous avons beaucoup à apprendre de la force de résilience des indigènes et il nous invite toutes et tous à la prochaine rencontre qui aura lieu à la fin mai 2018.

 

Note de la rédaction : Un grand merci à Marie-Hélène Larrue, Mélissa Desjardins et Marie-France Joly qui se sont déployées dans les différents ateliers pour récolter les extraits de témoignages présentés dans cet article.