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Journée internationale des femmes

Pétronille VAWEKA RUTAYA, médiatrice pour la paix

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, le  8 mars, nous sommes impatients de faire connaître le parcours d’une fervente artisane de paix. Établie maintenant à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, Pétronille Vaweka demeure à ce jour la seule Congolaise ayant agi comme médiatrice pour la paix face à des chefs de guerre, puis comme députée du gouvernement de transition appelée à instaurer les services essentiels à la vie et à la paix. Rencontre avec une femme de compassion qui a su toucher le cœur des faiseurs de guerre.

 

Des médiateurs plutôt que des soldats

À voir les reportages de guerre qui agitent les pays du Moyen-Orient et plusieurs pays d’Afrique, on se demande quelles forces peuvent venir à bout des armes et des intérêts en jeu. De longs  pourparlers de paix menés au niveau diplomatique entre pays belligérants parviennent à  dénouer des impasses. Quand il s’agit de conflits et de guerre civile à l’intérieur d’un pays, d’autres règles s’imposent, et même les Casques bleus chargés des opérations de maintien de la paix au nom des Nations Unies ne peuvent remplir le rôle qui leur est habituellement confié.

C’est alors qu’interviennent les médiateurs pour la paix sur le terrain, accompagnant les groupes qui sont en lutte pour conquérir leur parcelle de pouvoir sur les populations et plus encore sur les richesses d’une région[i]. Ces médiateurs sont habituellement des professionnels qui osent croire à une paix possible. Qu’est-ce qui les motive intérieurement à prendre les risques du métier? La réponse à cette question importe beaucoup aux Antennes de paix, puisque la paix en soi et la paix dans le monde sont intimement liées.

 

Une Congolaise appelée à servir la paix

Travailleuse humanitaire et mère de famille, Pétronille Vaweka Rutaya est l’une de ces médiatrices qui s’est engagée pleinement pour rétablir la paix en Ituri, district situé au Nord-Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Pendant sept ans elle a mené avec succès des négociations avec des chefs de groupes armés qui terrorisaient la population. Nous avons voulu nous approcher du parcours aussi inattendu que périlleux de cette femme reconnue  « experte en gestion des conflits à la Coordination nationale de Stabilisation et Reconstruction (STAREC) en République Démocratique du Congo ».

Du 6 au 15 février 2017, Pétronille était l’invitée principale de la Semaine de la paix organisée au Québec par Pax Christi Montréal sur le thème « Médiation, démocratie: une voix vers la paix! Le cas de la République Démocratique du Congo ». Antennes de paix l’a rencontrée afin de découvrir à même son expérience ce qui fut l’âme de son travail pour la paix.

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Antennes de paix – Dans quel contexte avez-vous commencé votre travail de médiation?

Pétronille  – Comme humanitaire, employée d’Oxfam Grande-Bretagne pour aménager des points d’eau dans les villages et sur des sites des personnes déplacées, il m’a été demandé par le coordonnateur régional d’initier un programme de médiation afin de mettre fin à la guerre interethnique; moi, mère de six enfants âgés de 9 à 14 ans, incluant deux couples de jumeaux. J’ai réfléchi pendant quelques mois sur la mission impossible qu’on me proposait.

Par où commencer? J’ai lancé avec quelques amis la Fondation pour la Paix Durable.

Deux ans plus tard, des citoyens harassés par des années de la guerre civile m’ont envoyé un émissaire. « Tu dois nous aider, il n’y a que toi pour arrêter ces affamés de guerre ».

Dans le chaos de ce pays, je sais que les Ougandais rôdent encore dans les parages, que Héma et Lendu, deux groupes ethniques de l’Est du Congo s’affrontent. Je vois que je ne peux compter sur des services de protection. Moi-même je n’ai pas de formation spéciale en résolution des conflits. Alors comment convaincre des chefs de guerre de déposer les armes? Que pourrais-je leur offrir en échange de l’argent que leur procurent les pillages, le commerce des armes? Faisant fi de ces objections, l’émissaire persiste. « Il n’y a que toi pour les convaincre d’arrêter ces massacres! »

J’ai compris intérieurement qu’il me fallait agir, entrer dans cet enfer de la guerre pour qu’on arrête de s’entretuer et que la vie normale reprenne.

Antennes de paix – Quelles répercussions cette responsabilité aura-t-elle sur votre famille?

Notre famille était installée à Bunia, la ville principale de l’Ituri. Le pays était occupé par des armées étrangères et plusieurs milices. On entendait dire que « pour sauver le Congo, l’ONU doit commencer par pacifier l’Ituri». Les Casques bleus s’y amènent pour une mission de paix[ii]. Avec l’aide de la communauté internationale la RDC adopte, en avril 2003, une nouvelle constitution. Un mois plus tard, Bunia est mise à sac par des milices. Les réfugiés s’entassent dans les camps de l’ONU et à l’aéroport sous la menace des tirs de mortier.

Nous sommes tous en danger. Un jour mon mari se rend en avion au marché de Kisangani pour vendre une grande quantité de poisson salé. Des combats éclatent. Impossible de rentrer à Bunia; il n’a d’autre choix que de prendre le bateau en direction de la capitale Kinshasa. La guerre nous a séparés pendant sept ans. À un moment donné, notre maison de Bunia est pillée et entièrement détruite. Les enfants se sont réfugiés sous un manguier (arbre). Ensuite, ils ont été dans l’un des camps des personnes déplacées à l’aéroport de Bunia.

Présidente de l’assemblée de l’Ituri et députée, j’étais avec les enfants au début de mon travail; ensuite je les ai quittés parce que j’étais recherchée par les extrémistes qui ne voulaient pas la fin de la guerre, étant donné qu’ils bénéficiaient des avantages économiques énormes.

Antennes de paix – En faisant ce travail de médiation, comment avez-vous pu obtenir que des combattants déposent les armes et changent d’orientation?

 J’ai dû commencer par faire un grand effort sur moi-même pour changer ma manière de voir ces hommes. J’avais devant moi des violeurs, des tueurs qui employaient toutes sortes de moyens en menant cette guerre. Je devais arriver à les voir non pas comme des ennemis mais comme des êtres humains. Alors ils se sentaient respectés comme êtres humains malgré tout le mal qu’ils avaient commis. Ce travail intérieur m’a coûté beaucoup, il était essentiel.

Antennes de paix –  Vous étiez en situation d’exercer un certain pouvoir; était-ce un grand atout?

Au début j’étais une médiatrice sans autre pouvoir que celui d’avoir été sollicitée pour une mission. En 2003, élue démocratiquement Présidente de l’Assemblée Spéciale Intérimaire de l’ITURI et Députée Nationale de la transition, j’ai exercé un certain pouvoir. Dans l’une et l’autre situation, je n’arrivais pas à ces chefs de guerre comme une personne de pouvoir. Je devais rester humble devant eux, je venais solliciter ce qu’ils avaient de meilleur pour qu’ils trouvent eux-mêmes la solution. D’ailleurs, cela vaut dans toutes les relations humaines, dans la vie de couple, avec vos enfants et les gens de votre communauté. L’orgueil fait trop de ravages, empêche de débloquer des situations.

Antennes de paix – N’avez-vous pas craint pour votre vie?

Pétronille – J’étais une femme désarmée devant des hommes armés – un coup de fusil et je pouvais disparaître – Ces hommes comprenaient que je prenais des risques et ils me respectaient.

L’une des pires situations que j’aie connues concerne un appel téléphonique reçu à 9 heures du soir pour la libération d’un otage. Je suis partie seule avec le chauffeur – il ne fallait surtout pas alerter la MONUC. En pleine nuit, on avance dans la jungle selon les consignes que l’autre partie nous donne par téléphone. Arrivés à un certain point, on nous demande de ne plus avancer. On me lance des insultes et des insultes probablement pour me faire perdre mon calme et trouver prétexte à tirer. Je garde mon calme en priant tous les saints du ciel. Ces hommes armés finissent par lâcher prise, s’en vont et nous laissent en plan dans le noir de la jungle avec un type inconnu qu’il faut ramener en ville. La parole donnée est la seule arme dans de telles circonstances.

Antennes de paix – En fin de compte, qu’avez-vous compris de ces hommes qui s’en remettaient  au pouvoir des armes?

Pétronille – En les côtoyant, j’ai entendu leurs histoires. Certains avaient pris les armes par désespoir, par suite de circonstances qui ne leur laissaient aucune autre issue. Ils étaient malheureux sous couvert de jouer les plus forts. Leur vie était aussi en danger. Certains avaient été recrutés parfois très jeunes pour gonfler les rangs des milices formées d’anciens soldats, d’autres avaient joint les troupes des pays limitrophes qui convoitaient et convoitent encore l’or et le diamant de notre pays.

Aujourd’hui, la milice reprend ses activités nocives, plusieurs familles sont encore dans l’errance parce qu’on ne leur donne pas une alternative de sortie de violence.

 

Antennes de paix – Et les femmes?

Pétronille – Toujours, j’ai travaillé pour donner plus de place aux femmes. Avant la guerre civile, pendant deux ans, mon mari et moi avons vécu avec nos enfants dans un village proche des Pygmées où les femmes ne sont pas reconnues. Je me suis approchée des femmes pour qu’elles soient conscientes de leur valeur et soient mieux respectées dans leur communauté.

Pendant la guerre, la vie des femmes est indescriptiblement atroce. Rongées d’inquiétude pour leur mari et leurs enfants, privées des approvisionnements réguliers, menacées jour et nuit de tomber entre les mains des pilleurs et des violeurs, la plupart trouvent le courage de faire face au danger mais certaines perdent leur équilibre, sombrent même dans la folie. Plusieurs venaient me trouver pour obtenir conseil et réconfort. Je n’avais souvent que mes bras pour les consoler d’avoir tout perdu.

Je suis membre fondateur de l’Union des femmes du Congo (UFECO), directrice de l’ONG Fondation Paix Durable, membre co-fondateur de l’Initiative des Femmes pour la paix dans la région des Grands Lacs, membre du Comité des femmes de l’Union africaine et d’autres ONG qui ont un effet plus ou moins direct sur la vie des femmes.

 

Antennes de paix  – Tous les défis que vous avez relevés supposent que vous êtes douée d’une réelle force intérieure. Où puisez-vous cette force pour construire une paix durable?

Pétronille – Dans toutes les guerres, les femmes se signalent par leur abnégation, leur travail, leur amour. Je n’y fais pas exception. Dans ma jeunesse j’ai fait partie des premiers enfants noirs à fréquenter l’école des Blancs. Nos parents nous ont appris à rester fiers de notre identité.

J’ai eu la chance de vivre dans une famille croyante, très active dans la communauté chrétienne. La foi en Dieu permet de tenir, d’oser et d’avancer. Quand je crois, je crois! Je m’accroche. Parfois c’est la tempête et je dis : regarde, je suis dans la barque… et tu dors! Quand je Lui parle, j’attends une réponse. En acceptant de faire la redoutable médiation j’ai demandé deux choses : ne jamais voir de cadavre et que mes enfants soient protégés. Et cela m’a été accordé.

Antennes de paix – Un immense merci, chère Pétronille, d’avoir ainsi partagé les convictions et notamment les attitudes qui ont guidé votre travail de médiatrice pour la paix pendant ces longues années. Vos propos révèlent « une foi à transporter les montagnes », une foi qui a le réalisme de la vision, la compassion du cœur et le savoir-faire des mains pour agir.

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Ressources à consulter pour mieux connaître le parcours de Pétronille Vaweka Rutaya :

http://www.globalsecurity.org/military/world/para/mrc.htm sur la situation en Ituri.

https://www.digitalcongo.net/article/34174 – sa nomination au Comité des femmes africaines de l’Union africaine.

http://www.memoireonline.com/02/12/5225/m_De-l-applicabilite-du-chapitre-VII-de-la-charte-de-lONU-dans-les-conflits-identitaires-en-RDC-c19.html sur le conflit en Ituri entre Héma et Lendu.

https://www.eda.admin.ch/content/dam/countries/countries-content/the-democratic-republic-of-congo/fr/Rapport%20SF%20RDC_0409.pdf sur la situation de la femme en RDC.

http://www.irinnews.org/fr/questions-r%C3%A9ponses/2003/09/17 sur l’Opération Artémis.

http://www.rcn-ong.be/IMG/pdf/7-_portraits.pdf « Vivre c’est oser »

http://impactcampus.ca/international/la-paix-par-la-mediation/

[i] Sur le recours croissant aux médiateurs de la paix, lire l’entrevue avec Garry Beitel, réalisateur canadien du film À la poursuite de la paix / In Pursuit of Peace. Aller à https://voir.ca/cinema/2015/11/13/a-la-poursuite-de-la-paix-aux-ridm-entrevue-avec-garry-beitel/

[ii] L’action de Pétronille Vaweka Rutaya est citée dans le documentaire intitulé Le prix de la paix, réalisé en 2006 par l’ONF (Canada) et ARTE (France). Le DVD est accompagné d’un « Guide d’enseignement ». En savoir plus : www.onf.ca/leprixdelapaixeditionspeciale/

 

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